L'Union Européenne rechigne à intervenir au Nord-Kivu

Publié le par Cohérence et Espoir 94







Face à la crise à l'est du Congo, dans le Nord-Kivu, où les populations civiles sont exposées depuis le mois d'août aux combats entre une force rebelle tutsie et les troupes de Kinshasa en pleine débandade, l'Union européenne (UE) maintient une approche de non-intervention armée. Les Européens n'ont pas donné suite pour l'instant à la demande adressée le 4 décembre, par lettre, par le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon. Les raisons de cette inaction sont multiples et valent aux responsables européens les critiques d'organisations comme Human Rights Watch (HRW) et Oxfam, qui ont appelé au déploiement d'une force européenne, comme cela avait été le cas en 2003 lors de l'opération Artémis, pour prévenir de nouveaux massacres.

Distribution d'eau à Nyanzale, dans le Nord-Kivu en République démocratique du Congo, mercredi 19 novembre.

Pour ces militants des droits de l'homme, les tergiversations des Européens, peu disposés à engager des troupes dans cette région meurtrie, montre un échec de l'UE, dans lequel la France porte une responsabilité particulière. Les autorités françaises ont fait preuve d'une certaine "schizophrénie", selon HRW. Le ministre français des affaires étrangères, Bernard Kouchner, s'était déclaré favorable, fin octobre, à une intervention, mais le 12 décembre, à Bruxelles, Nicolas Sarkozy s'y est publiquement opposé, indiquant que la tâche revenait à la Monuc et que l'Angola pourrait y contribuer. Ces propos ont suscité de la perplexité dans les milieux diplomatiques européens, alors que de nombreux experts mettent en garde contre le danger de régionalisation du conflit.



Dans sa lettre aux Européens - la première du genre depuis l'opération Artémis -, M. Ban a demandé "le déploiement immédiat d'une force multinationale" par les Etats membres de l'UE, afin de "stabiliser l'environnement sécuritaire fragile et prévenir une catastrophe humanitaire". Pour dépêcher un renfort de 3 000 hommes au Nord-Kivu, ainsi que l'a autorisé fin novembre le Conseil de sécurité, l'ONU a annoncé avoir besoin d'un délai de quatre mois au moins, et c'est dans cette période intermédiaire qu'une force européenne trouverait toute son utilité.



Lors des entretiens qu'il a eus voici quelques jours à New-York avec M. Ban, le chef de la diplomatie européenne, Javier Solana, a fait comprendre que les chances d'une intervention européenne étaient faibles, même si la réponse n'est pas un "non" définitif. L'ONU réclame des Européens une force robuste dont la mission première serait de protéger l'aéroport de Goma, des points d'accès à la ville, et de patrouiller sur des axes routiers. Mais les pays qui seraient prêts à participer (Belgique, Suède, Finlande, Espagne) ne veulent le faire que dans un cadre européen, qui nécessite un consensus. "Ce n'est pas grand-chose, ça pourrait être fait très facilement, il ne s'agit pas de pourchasser Nkunda (le chef des rebelles congolais) dans la jungle", s'impatiente un responsable de l'ONU. "Nous sommes d'autant plus déçus que l'idée initiale d'une telle force était venue de la France."



Des diplomates et des experts occidentaux se disent frappés par la volonté de l'Elysée d'éviter de s'engager dans un processus où des soldats européens se retrouveraient aux prises avec la rébellion tutsie. Le poids du passé et des relations tendues entre la France et le Rwanda du président Paul Kagamé - qu'un panel d'experts de l'ONU a récemment accusé d'intervenir militairement au Congo - semble peser lourd. Une autre hypothèse, avancée par des sources européennes, est que la France ne voit aucun avantage à impliquer des forces européennes dans la mesure où le Royaume-Uni y est opposé. L'opération militaire européenne contre la piraterie au large de la Somalie, présentait, à l'inverse, l'intérêt d'entraîner les Britanniques dans une action valorisant la politique européenne de sécurité et de défense (PESD).



A ce stade, l'UE n'a fait qu'élaborer un document énumérant différentes options d'intervention, allant d'une force PESD au Congo, de type Artémis, à un simple pont aérien pour acheminer des aides humanitaires - mais sans se prononcer dessus. L'ONU, de son côté, peine à trouver des renforts pour la Monuc : seuls 600 soldats du Bangladesh, un petit nombre de Guatémaltèques et un avion belge seraient disponibles à l'heure actuelle.



En 2003, la force Artémis, composée pour l'essentiel de soldats français, avait dû ouvrir le feu, au début de son intervention de trois mois, contre des groupes armés, dont certains d'ethnie tutsie. Les militaires français, selon des sources diplomatiques, sont aujourd'hui opposés à toute intervention au Congo. La position d'attente de l'UE semble aussi liée à un souci de favoriser le processus de négociations de paix en cours, à la demande du médiateur, le Nigérian Olosegun  Obasanjo. Mais face aux ambitions nationales de la rébellion congolaise, les résultats de cet effort de pourparlers restent très incertains, disent des diplomates.



Natalie Nougayrède (avec Philippe Bolopion à New York)
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