Vallini (I) : La gauche doit avoir le courage d'être juste

Publié le par Cohérence et Espoir 94

Merci à la section Jean Zay de sciences-po

Mardi 16 décembre 2008, André Vallini était l'invité de la section Jean Zay. Deux thèmes étaient au programme de l'échange fructueux avec les militants de la section et les sympathisants : L'alternative de gauche à la politique judiciaire sarkozyste ; La réforme des collectivités territoriales. La première partie du compte-rendu est consacrée à la première thématique.



Sarkozy et le mensonge du "tout répressif".

La dernière intervention d'André Vallini à Sciences Po remonte à la fin 2006, au moment de la campagne présidentielle, sur le thème des prisons. La situation ne s'est malheureusement pas améliorée, et la France est régulièrement condamnée par la justice internationale. On reviendra plus tard sur cette question essentielle, car la gauche doit agir. En termes de Justice, la gauche peut en effet se prévaloir du plus considérable progrès : l'abolition de la peine de mort en 1981. Plus récemment, le Gouvernement Jospin s'est également illustré, avec la loi sur la présomption d'innocence en 2000, la hausse des moyens de la Justice et la loi Chancellerie-Parquet, dont André Vallini était le rapporteur. Jacques Chirac avait malheureusement mis son veto sur le projet d'autonomie du parquet.


A l'inverse du bilan de la gauche, la droite a empilé depuis 2002 des lois répressives et régressives (Perben I et II, puis les lois Sarkozy, et désormais celles de Rachida Dati). Ces lois marquent un retour sur certains grands principes de la Justice française, comme la présomption d'innocence ou le principe de contradictoire. L'instauration des peines-plancher s'oppose au principe d'individualisation des peines, avec comme conséquence la hausse du nombre de détenus et la surpopulation carcérale. La rétention de sûreté baffoue totalement la présomption d'innocence. Désormais, le suspect est présumé coupable et il peut être maintenu en prison pour des durées d'un an reconductibles indéfiniment parce qu'il est jugé "potentiellement dangereux" pour l'ordre public.


Quel sera le discours de Nicolas Sarkozy si la commission d'évaluation relâche un détenu qui récidive ? La droite répand l'idée que le "risque 0" est possible, que l'on peut atteindre une société totalement sûre et aseptisée. C'est une idée fausse, mais qui pénètre l'opinion grâce à un législateur complaisant. Cette politique est un retour au XIXe siècle et à la philosophie conservatrice de l'hygiénisme social. Elle repose sur l'exclusion de tous les marginaux, tous ceux qui vivent dans les quarteirs difficiles, qui sont devenus les nouvelles "classes dangereuses", en lieu et place des ouvriers du XIXe siècle. La loi Sarkozy qui assimile la protistution ou la réunion de jeunes dans les halls d'immeubles à des délits en est une parfaite illustration.


Mais la politique du "tout répressif" qui conduit au "tout carcéral" n'est ni juste ni efficace.


La tâche de l'opposition parlementaire est difficile. Il revient aux militants de convaincre les citoyens que ces questions représentent un malaise social grave. Tout est social. La gauche, trop souvent accusée d'angélisme et de laxisme, soit s'inspirer de la formule de Tony Blair : il ne faut pas seulement s'attaquer à la criminalité, mais aussi aux causes de la criminalité. La droite ne fait que dissimuler temporairement les problèmes, car si les politiques ne s'attaquent pas aux racines sociales des problèmes, d'autres prostituées et d'autres ados viendront. La seule solution politique est l'augmentation des moyens. C'est un impératif pour les humanistes en général et pour la gauche en particulier.


Après son introduction, André Vallini a répondu aux questions des militants présents.


PS Jean Zay : Quel est au fond le vrai rôle de la Justice : s'adresse-t-elle aux victimes ou doit-elle au contraire chercher à résoudre les problèmes ?
AV : "La droite n'a pas le monopole du coeur" ! Il est très difficile dans un débat d'opposer un discours de raison à la politique compassionnelle de Nicolas Sarkozy ou de Rachida Dati, qui s'est autoproclamée "Ministre des victimes". Comment soigner les détenus ? Il faut parfois des soins psychiatriques.


Malheureusement, dès qu'il y a un fait divers, comme récemment à Grenoble, les humanistes ddoivent avoir le courage de dire que le "risque 0" n'existe pas. L'enjeu réel est d'augmenter les moyens pour minimiser ces risques. J'ai toutefois un espoir sur le mouvement que l'on perçoit dans l'opinion. Avec l'affaire du journaliste de Libération Vittorio De Filippis, les gens ont réalisé jusqu'où vont les mauvais traitements lors des interpellations. Désormais, tout le monde connaît quelqu'un qui a fait de la garde à vue pour alcoolémie au volant ou "outrage à agent". Nous avons aussi les images des enfants que l'on vient chercher dans les écoles. Il y a un retournement dans l'opinion... à nous de faire le travail politique derrière.



PS Jean Zay : La politique répressive a beaucoup d'écho à court terme. Quelle est l'alternative du Parti socialiste ? Nous avons l'impression que le PS n'a rien à proposer !

AV : C'est une question hélas pertinente, qui s'applique plus globalement à toute la politique. La gauche est aujourd'hui en panne. Nous n'avons pas un programme clés en main à opposer à Sarkozy. Nous avions un en 2007, il faut maintenant nous préparer pour 2012.


Sur la Justice en particulier, j'ai quelques propositions. Mettre moins de gens en prison et développer les alternatives à l'incarcération. Donner plus de moyens aux agents de probation, qui gèrent parfois plus de deux cents détenus : il est impossible d'organiser un suivi individualisé, de trouver des formations. Il y a des solutions pratiques, des solutions médicales. Mais cela demande des sous. Depuis cinq ans, le budget de la Justice a augmenté de 30%, mais si observe dans le détail, on s'aperçoit qu'une grande partie des crédits prévus par en loi de finances sont gelés ou reportés. Du coup, cet argent n'est pas dépensé !


Lors d'un voyage au Canada dans le cadre la commission parlementaire sur les prisons, j'ai pu voir la situation dan les prisons canadiennes, qui sont très réputées. Au Canada, un détendu qui rentre en prison fait un bilan de santé, puis il est encadré et prépare un plan de réinsertion. On note sur une baisse de la récidive et des autres indicateurs de la criminalité en cinq ou dix ans. Mais lors de l'instauration de cette politique volontariste, l'opinion canadienne avait très mal réagi. Le Gouvernement a été battu à l'élection suivante. Les Canadiens ne sont pas différents des Français, ce qu'il faut, c'est du courage politique et de la pédagogie sur le "risque 0".



PS Jean Zay : On confie à la police des pouvoirs qui devraient revenis au juge, par exemple avec les ASBO (Anti-social behaviour ordres) de Tony Blair au Royaume-Uni. Cela corrspond-t-il à une tendance de fond ?
AV : En France, on a tendance ces dernières années à faire reculer les pouvoirs du juge du siège au profit du juge du parquet qui est sous les ordres de l'Exécutif (Rachida Dati a été très claire en se revendiquant "chef des procureurs"), puis du juge du parquet au policier. Le policier est le bras armé de l'Etat, elle n'est pas la gardienne des libertés individuelles. Le juge du siège est le plus indépendant. Le débat sur l'indépendance du juge du parquet ne fait pas l'unanimité à gauche, je suis moi-même plutôt contre. Le parquet doit recevoir des directives de politique pénale, mais il faut avant tout limiter les instructions individuelles de classement (on classe sans suite les affaires qui dérangent le pouvoir). Rachida Dati a lancé la Commission Léger de révision du Code pénal et du Code de procédure pénale. Elle doit rendre son rapport en juin 2009.


Pourtant, on avait déjà travailé sur ces questions lors de la Commission Outreau (dont André Vallini était le co-président, NDLR). Pour une fois, les Français étaient intéressés par des questions austères de procédure.


C'était un moment extraordinaire ! Le rapport a été adopté à l'unanimité par la droite et la gauche. 
Malheureusement, il est arrivé trop tôt, en juin 2006. S'il était sorti en janvier 2007, les condidats n'auraient pas pu faire l'impasse sur cette question. Outreau marquait le retour de la présomption d'innocence, de la nécessité du principe du contradictoire, après la politique sécuriatire de Sarkozy depuis 2002. La France était prête, en partie par compassion, à faire une grande loi pour une politique de liberté inspirée par la gauche. Le cycle Outreau est resté inachevé. Le juge d'instruction a trop de pouvoir, mais les solutions sont connues.



PS Jean Zay : On pointe ici le rôle des médias. Pourrait-on développer un
peu la question du principe du contradictoire ?
AV : L'avocat est mal vu dans les procédures d'instruction. C'est l'empêcheur de tourner en rond. Il faut une politique qui s'articule autour de la lettre "C", comme Contradictoire, Collégialité car on se trompe moins à plusieurs, et Citoyenneté. La Justice doit être mieux rendue. Il faudrait des jurés citoyens dans les tribunaux correctionnels, c'est ce que l'on appelle l'échelinnage de la Justice. Les Français verraient que ce n'est pas si simple et qu'il y a bien souvent des circonstances atténuantes. Contrairement à ce que prétend la droite, la gauche veut expliquer les causes et les circonstances de la délinquance, et non l'excuser.

Publié dans Droits de l'Homme

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