La CIMADE tiendra bon!

Publié le par Cohérence et Espoir 94


Damien Nantes, responsable du service défense des étrangers reconduits à la Cimade, estime, dans un "chat" au Monde.fr jeudi, qu'il est encore "temps de trouver une solution conforme à l'intérêt des étrangers".


Pitch : Pourquoi la Cimade s'est-elle opposée au décret Hortefeux ?


Damien Nantes : Parce que le décret et l'appel d'offres publiés durant l'été risquent de diminuer fortement la possibilité pour les étrangers retenus en centre de rétention d'exercer effectivement leurs droits. La réduction de la nature de la mission, qui passe d'une mission d'aide à l'exercice des droits à une simple mission d'information, et l'éclatement de la mission en huit lots géographiques ne permettront plus de garantir la qualité de l'aide juridique apportée aux étrangers.


L'introduction de clauses de neutralité et de confidentialité et le morcellement de la mission risquent également de supprimer de fait toute possibilité d'une vision globale de la situation dans les centres de rétention administrative, et donc la fonction essentielle de témoignage que la Cimade met en œuvre depuis vingt-cinq ans.


ours : Pourquoi la Cimade ne s'est-elle pas alliée aux autres associations (France Terre d'asile, l'ordre de Malte, etc.) pour présenter une candidature commune ?


Damien Nantes : La Cimade travaille en partenariat et en collaboration étroite avec de nombreuses associations intervenant dans le champ de la défense des droits des étrangers. Nous souhaitons poursuivre la mission que nous exerçons en rétention avec d'autres, mais le dispositif actuel ne le permet pas puisqu'il interdit, par exemple, à plusieurs associations de travailler ensemble dans un même centre.


Plus de quarante associations ont adressé à Brice Hortefeux une lettre ouverte lui demandant de modifier ce dispositif. Les associations que vous citez ne se sont pas associées à cette démarche. La question n'est pas de savoir si les candidatures communes étaient possibles, mais bien d'obtenir la modification du dispositif pour permettre une véritable mission d'aide à l'exercice des droits des étrangers assumée par plusieurs associations dans un cadre national et cohérent.


Jarjar : Que pensez-vous des associations qui ont répondu à l'appel d'offres de Brice Hortefeux ? Estimez-vous qu'elles jouent contre vous ?


Damien Nantes : La question n'est pas la situation de la Cimade. La question est de savoir si dans ce nouveau cadre, les étrangers pourront exercer effectivement leurs droits. Les associations qui ont répondu à l'appel d'offres en ont parfaitement le droit. Nous regrettons simplement qu'elles ne se soient pas associées à une démarche très large et commune qui visait à obtenir un dispositif cohérent garantissant la protection des droits des étrangers et le rôle fondamental de témoignage que doit avoir la société civile dans ces lieux d'enfermement administratif. Nous espérons que ces associations ont pris conscience des risques graves sur ce plan que font courir les textes parus cet été.


fred_1 : Que pensez-vous de la présence, parmi les associations candidates, du collectif "Respect" dirigé par un membre de l'UMP, Frédéric Bard, qui ne semble pas spécialisé en droit des étrangers ?


Damien Nantes : La candidature de cette association, que nous n'avons jamais rencontrée dans le cadre de nos actions de défense des droits des étrangers, illustre bien l'un des risques contenus dans la nouvelle formulation du décret. En effet, jusque-là, le règlement prévoyait l'intervention d'associations pour assister les étrangers dans les centres de rétention.


Désormais, cette action est ouverte à toute personne morale. On peut donc imaginer que n'importe quel organisme privé ou parapublic pourrait, dans l'avenir, candidater. Cela ne nous paraît pas compatible avec la nécessité de l'intervention dans les centres de rétention d'associations indépendantes et dont l'objet doit être la défense des droits et des libertés fondamentales des étrangers qui y sont placés.


Hibou : Combien d'argent représente le marché public des centres de rétention ? Et dans le budget de la Cimade ? Et combien d'employés y travaillent ?


Damien Nantes : Ce budget était jusqu'à présent de 4 millions d'euros. Le nouvel appel d'offres prévoit un maximum d'environ 7 millions. Au sein de la Cimade, 65 salariés et 160 bénévoles interviennent dans les centres ou locaux de rétention. Cette action représente environ 40 % du budget de la Cimade. Notre préoccupation, cependant, n'est pas le coût de cette mission, mais sa finalité : être aux côtés des étrangers retenus, les accompagner et leur permettre d'accéder à leurs droits.


bbb : Quels sont vos rapports avec Brice Hortefeux ? Est-il dans la confrontation ?


Damien Nantes : La Cimade a et conserve une tradition de dialogue constant avec les pouvoirs publics. Dernièrement, l'aggravation de la situation dans les centres de rétention, qui nous a conduits à alerter, à de multiples reprises, les pouvoirs publics mais aussi la société dans son ensemble, semble déplaire au ministère de l'immigration. Pour notre part, nous restons ouverts au dialogue.


C'est la raison pour laquelle, seuls ou avec les nombreuses associations qui se sont mobilisées sur cette question, nous avons cherché tous les moyens pour qu'une concertation large soit ouverte sur les conditions d'intervention de la société civile dans les centres de rétention. Aujourd'hui encore, nous maintenons cet appel au ministre et nous espérons qu'ainsi, une solution conforme à l'intérêt des étrangers pourra être trouvée. Il est encore temps.


jarjar : La situation des centres de rétention en France est-elle particulièrement alarmante par rapport à d'autres pays européens ?


Damien Nantes : La pratique de l'enfermement des migrants dans l'ensemble des pays européens est aujourd'hui un sujet de préoccupation majeure. La situation française n'est pas la plus grave, même si l'évolution de la rétention administrative depuis 2003, l'agrandissement du nombre comme de la taille des centres de rétention et l'application de la politique des quotas d'expulsions entraînent au quotidien la multiplication de la souffrance humaine et des actes de désespoir. Automutilations, tentatives de suicide, grèves de la faim, mouvements de protestation font désormais partie du quotidien dans les centres de rétention.

Publié dans Droits de l'Homme

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